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  • De ceux qui prient sans se faire prier.

        Beaucoup d'hommes et de femmes qui ne croient pas en Dieu ont un jour prié. D'autres  exigeront une preuve de l'existence d'un être supérieur avant de lui adresser une prière. Par quoi commencer ?  Par la profession de foi ou par l'expérience de laboratoire ?   La foi n’est pas un tremblement de terre mais un infime frémissement de la forêt intérieure caressée par une brise divine : « Esa noche sinti un cierto vértigo y volviό a delirar ». Quoi qu'il en soit, certaines personnes n'éprouveront jamais le besoin de prier parce qu'elles vivent en-deçà de toute spiritualité. Leur existence est factuelle, étroitement liée à la conquête d'avantages matériels. Le phénomène de la prière peut se passer de Dieu, c'est une affaire humaine. Rien à voir, ou si peu, avec les génuflexions et les paters appris par cœur et récités mécaniquement, sans véritable implication de ceux qui intercèdent. Ce qui prime avant tout, c'est le fait que « dans la prière nous nous élevons au-dessus de nous-mêmes ainsi que de tout ce qui nous entoure et portons nos regards dans le lointain, vers un horizon infini [1] ».  Celui qui prie puise en lui-même pour trouver la source qui apaisera sa soif de grandeur. Il y a un mystère en chacun de nous et nous en possédons la clé : sommes-nous sur cette terre par hasard, sans avant et sans après ?  Cette question nous brûle. Prier, c'est croire en l'avenir, c'est admettre que les choses peuvent changer. La prière surgit souvent dans les pires moments, en présence de la mort. Il y a des circonstances où l'espoir ne suffit plus, alors nous prions pour connaître des jours meilleurs. A cet instant, le passé n'est rien, seul compte l'avenir. En priant, nous allons aussi loin qu'il est possible d'aller, nous allons jusqu'au bout, jusqu'à la vérité ultime de ce que nous sommes vraiment. Les soucis,  quels qu'ils soient,  finissent toujours par se noyer dans un double-whisky.

     



    [1]  Eugène Minkowski, le temps vécu. 

  • La théorie du pétard mouillé.

        A-t-on enfin trouvé des preuves de l'existence du Big Bang ? Si tel était le cas, ce serait la plus extraordinaire découverte de l'histoire de l'humanité (si l'on excepte celle de la fourchette et du mode de reproduction des mammifères).  Plusieurs physiciens (catégorie  fourre-tout qui englobe aussi bien Albert Einstein que les frères Bogdanov) auraient observé des traces d'ondes gravitationnelles qu'ils attribuent au Big Bang. En quoi cela pourrait-il tout changer ? Les ondes gravitationnelles sont un élément clé de la théorie de la relativité générale et leur découverte apporterait la pièce manquante au puzzle.  Elles sont l'écho de l'immense choc qui s'est produit il y a 13 milliards et 820 millions d'années. Si Albert Einstein était convaincu de leur existence, personne jusqu'à ce jour n'avait réussi à en apporter la preuve.  Mais cette annonce est-elle fiable ?  Rien n'est moins sûr, car pour inscrire leur nom au palmarès du Prix Nobel de Physique certains savants seraient prêts à tuer père et mère. Au moment où l'on va enfin savoir comment l'univers est né, d'autres scientifiques nous cassent le moral en nous annonçant sa fin programmée.  Oui, l'univers se meurt, l'univers est mort !  La raison ? Il produirait de moins en moins d'énergie. Petit rappel pour les profanes (ou pour ceux qui auraient séché les cours de Physique au Lycée) : Les galaxies que nous observons se sont formées peu de temps après le Big Bang et, comme la lumière voyage à une vitesse constante, il suffit d'observer des objets lointains pour voir à quoi ressemblait l’univers à ses débuts. « Depuis son origine, l'univers est voué au déclin, comme une dégénérescence sans fin, une vieillesse éternelle »Si une bonne partie de l'énergie qui circule dans l'Univers a été produite après le Big Bang, de l'énergie nouvelle est constamment libérée par les étoiles lors de la fusion d'éléments comme l'hydrogène et l'hélium. C'est ce qui a été observé. En étudiant 200.000 galaxies, ces physiciens ont calculé que l'énergie produite était deux fois moindre à celle générée il y a deux milliards d'années.  Pire, elle diminue sans cesse. Mais gardons notre calme, la fin des temps n'est pas pour demain puisqu'il reste encore 100 milliards d'années avant que la dernière étoile ne cesse de briller. Résumons nous : comme le dit la sagesse populaire « rien ne dure, tout a une fin ». Ainsi,  aucune entité, aucune création ne reste en l'état, dans une permanence figée. Un chien vit 15 ans, un homme 85 ans, un éléphant 120 ans. Il en est de même pour les réalisations humaines : une relation amoureuse dure 3 ans, une guerre mondiale dure 4 ou 5 ans, un homme politique fait une carrière de 45 ans, un groupe industriel périclite au bout de 80 ans, une grande religion s'éteint au bout de 20 siècles.

  • Des particules élémentaires.

        Dans la blancheur de mes nuits sans sommeil, il m’arrive de penser à ma prochaine existence. Ce futur proche, je le perçois très nettement.  J’y ai conservé la même apparence ou, plus exactement,  le même style, la même allure. Je ne me déplais pas. Certes, mon physique n’accroche pas l’œil des passantes et je suis sans doute le résultat d’une étreinte furtive entre l’homme invisible et la très mystérieuse « ménagère de moins de cinquante ans » qui hante les couloirs glacés des instituts de sondage.  Je serais comblé si la nature me dotait dès mon plus jeune âge de la faculté de comprendre les idées et de manier les mots avec discernement. Car c’est par le verbe que l’on s’élève et que l’on accède à un état supérieur de l’être.  Je n’accepte pas le monde tel que je le vois et le subis.  Je refuse la douleur qui en est la loi.  J’aspire à désobéir, à ne jamais me soumettre à des renoncements qui avilissent. Obéir est une sorte de mort spirituelle. Pour pouvoir mourir et renaître, il faut avoir vécu. Mais quelle partie de nous-mêmes pourra-t-elle prétendre à l’immortalité ? Certainement pas nos désirs matériels ni le flot des pensées circonstancielles qui noient notre vie quotidienne. Je pense que ce qui nous survit, c’est la conscience   d’être unique, - à la fois semblable aux autres et néanmoins différent -, qui se manifeste aux pires moments et qui nous rappelle que nous sommes bien plus qu’un assemblage imparfait de protons [1].



     

    [1] Le proton n’est pas une particule élémentaire n’en déplaise à Michel Houellebecq

  • L'homme a créé Dieu le sixième jour.

      J'ai la nostalgie de l'éternité, le goût du néant et, la nuit, quand je me dissous dans un sommeil sans images, je me désincarne. Le dégoût d'une vie misérable est souvent, plus ou moins consciemment, associé au désir d'une délivrance. Et si celle-ci prend parfois la forme naïve du paradis chrétien – délivrez-nous du mal – elle peut aussi exprimer l’aspiration toute simple à n’être plus rien.  Etre éternel  ou ne plus être, voici le yin et le yang, lumière et ténèbres. Depuis l’enfance,  je suis parti en quête d’un paradis poétique dans l’enfer d’une vie prosaïque.  Si je devais lancer un défi à Dieu, ce serait de refuser d’entrer dans le jeu vain du créateur et de la créature. Qu’en est-il de la divine providence lorsque l’on marche sans but au hasard des rues ?  L’arbitraire qui décide des destinées est-il le bras armé de Dieu ou une dérisoire manifestation du chaos originel ? « Jamais un coup de dés n’abolira le hasard » écrivait Mallarmé, le hasard qui est l’irréductible preuve du néant. L’homme a créé Dieu le sixième jour parce qu’il s’ennuyait et aussi parce qu'il  a toujours eu horreur du vide. Ce qu’il y a de divin en chacun de nous est avant tout  la marque de notre profonde humanité, de ses limites et aussi celle de l’absence de perspectives au bout de chaque vie individuelle.

  • Des espèces en voie de disparition.

    Mon goût  pour la retraite et l’étude m’a conféré une réputation d’ermite savant auprès des habitants du pays. Si par mégarde l’un d’eux me croise sur un chemin désert, il prend  grand soin d’accélérer le pas  afin de ne pas avoir à me saluer. La maison où je demeure est plantée sur un coteau qui domine la vallée à deux kilomètres à vol d’oiseau du plus proche hameau. Lorsque la neige tombe en abondance, il peut se passer plusieurs jours sans qu’un promeneur s’aventure dans ces parages. Ce matin-là, alors que je cultivais avec application mon demi-sommeil, - qui chez moi serait plutôt un demi-réveil, attentif que je suis aux bruits ambiants, aux lumières et aux odeurs qui se glissent furtivement dans ma chambre  à cette heure privilégiée et qui viennent dégourdir mes cinq sens -, je perçus, de plus en plus nette, l’approche d’une véritable armée avec ses fantassins, ses cavaliers et ses chariots transportant vivres et munitions. Mon premier réflexe, hérité des temps de guerre, fut de bondir hors du lit et de me précipiter vers la fenêtre, pressentant le pire. J’écartai un volet, juste assez pour apercevoir les habitants du village d’en-bas venus en masse et tous vêtus de leurs habits du dimanche. Le cœur battant la chamade et le souffle court, je poursuivis mon observation, toujours sans me montrer, afin de découvrir les intentions de cet attroupement  pour le moins insolite dans un tel lieu.  Peu à peu, la panique abandonna mon esprit car,  ce que j’avais  interprété comme les préparatifs d’un lynchage, se transformait en ceux d’une  fête votive avec ses lampions disposés entre les arbres, son mât de cocagne (que j’avais  tout d’abord pris pour une potence), ses stands de crêpes et sa buvette. Encore plus étrange, tous ces préparatifs s’effectuèrent dans le plus complet silence. Une heure plus tard,  jugeant certainement que tout était prêt, la fanfare municipale se mit en ordre de marche et prit  la direction de la maison  puis,  sur un signe du maire ceint de son écharpe tricolore,  attaqua une Marseillaise improbable. Avant que l’édile eût frappé, je pris l’initiative de paraître dans l’encadrement de la porte et de faire face à l’imposante cohorte. A ma vue, la troupe stoppa net son avance et un demi-cercle curieux  se forma autour de moi. J’eus le plus grand mal à dissimuler mon trouble lorsque le maire entama  la lecture d’un discours  surréaliste dont je ne comprenais pas  le moindre mot. Par quelle plaisanterie s’adressait-on à moi dans une langue étrangère ? A tendre l’oreille, je discernais bien dans ce verbiage quelques lointains vestiges de vieux Français, mais le sens général  du propos m’échappait complètement. Quand j’eus la certitude que l’envoi était terminé, je serrai énergiquement la  main de l’élu  pour le remercier  tout en adressant un salut timide à la foule.  Comme tous semblaient attendre que je répondisse à ces chaudes embardées, j’improvisais une réponse où je les félicitais pour la farce très réussie qu’il venait de me faire. A  leurs yeux écarquillés,  je suspectais très vite qu’il y avait de l’ambiguïté dans l’air: comme moi tout à l’heure, ils semblaient ne pas comprendre le sens de mes propos alors que  je m’exprimais dans ce qui était,  autant que je puisse le subodorer, leur langue maternelle. Après cette journée déconcertante, le conseil municipal vota  des mesures conservatoires destinées à mettre à l’abri le dernier des Mohicans. Dès le lendemain, la force publique fut mandatée pour me ramener au village où l’on  m’enferma au milieu des livres de la Bibliothèque devenue un musée (et, je le crains, un zoo).  J’eus la confirmation, après de longues recherches et  de multiples recoupements, que  j’étais le dernier homme vivant à parler et à écrire le Français de Voltaire et de Proust.